D'un Corps à l'Autre


Juliet O'Brien, Metteuse en Scène


Intention de Mise en Scène


Nicolas est différent. Il n'entend pas les choses comme nous les entendons, il déchiffre ce qu'il voit autrement ; il emploie des méthodes dont nous ne connaissons pas les secrets et surtout il garde tout pour lui, tout ce qu'il voit et tout ce qu'il entend . Il ne s'exprime pas. Il ne s'exprime pas comme le rêvaient ses parents.

 

Nicolas est autiste. Mais il est là.

 

Dans "D'un corps à l'autre" nous explorons les peines et les tribulations de Nicolas et de ceux qu'ils l'entourent. Le parcours de combattant que mènent ses parents ressemble parfois à celle d'une boule lancée dans un flipper, hors contrôle. Mais le respect de la dignité humaine qui les anime, et l'amour titanesque qu'ils lui portent, leur laisse encore la main sur la manette.

Pour montrer les aléas de ce parcours la scène est jonchée de multiples baffles et petits écrans d'où émanent des sons, des voix, des ambiances. Ils sont parfois harmonieux, parfois atones. Ils sont représentatifs de la complexité qui habite la tête de Nicolas et aussi des barrières devant lesquelles sa mère reste souvent bloquée. Ils constituent le labyrinthe dans lequel Nicolas et tous ceux qui l'entourent se meuvent.
On parle souvent de Nicolas comme s'il n'était pas là. Mais il est là et non seulement il est là mais dans notre histoire il œuvre en catimini pour faire en sorte que la justice règne.

Dans l'écriture d'Éric Bertrand, nous glissons du réel dans le conte tout en croyant que le conte est bien réel. Ce n'est pas du réalisme magique mais plutôt cette chose magique qui est si réelle et ambiguë chez les enfants autistes. Le spectacle cherche à montrer que le regard que nous portons sur "l'anormal", le "différent", est souvent un regard mu par la peur, peur d'avoir à remettre en question notre propre normalité.


Le spectacle est comme un manège où peur et joie se côtoient vertigineusement.


Edito de l'artiste


On ne se connaissait pas Eric et moi, mais quelqu'un qui connaissait quelqu'un qui connaissait quelqu'un dans un pays lointain a fait le lien - et  il se trouve que tous les deux, qui ne nous connaissions pas du tout, avions en commun un proche touché par ce phénomène complexe : l'autisme. 

 

Je n'ai jamais aimé le mot handicap. Dans mon pays on parle de "special needs", de besoins uniques - car en anglais "special" est tout sauf négatif - au contraire, il évoque tout ce qu'il y a de plus important, de plus précieux.

 

Je ne veux en aucun cas créer une polémique autour de comment qualifier telle ou telle condition, mais dans ma mise en scène je veux mettre en avant cette qualité "précieuse".

 

Ces enfants qui épuisent et qui émerveillent , qui usent et qui font rire, qui frustrent mais qui révèlent, qui mettent à rude épreuve la vie des parents pour qui souvent la société reste parfaitement indifférente, mais qui sont pour moi précieux.

    

Petite fille j'ai vécu avec la maladie d'un proche.  Je me souviens à quel point le regard des autres me mettait mal à l'aise. Avec le temps j'ai compris qu'on ne peut pas en vouloir aux autres de ce regard car tout ce qui est différent attire l’œil mais on peut travailler pour que les sociétés  rendent ces regards moins douloureux et apaisent  la vie de ceux qui œuvrent quotidiennement auprès de ces enfants.

 

Ma mise en scène est au service de tous les enfants et leurs familles qui ont tant besoin de nous et de notre considération.